par Daly Valet -Le Matin, 15 au 21 avril 2011
Michel Martelly a gagné haut la main l'élection présidentielle. Même si, à la grande stupéfaction de plus d'un, Mirlande Manigat, sa rivale défaite, tarde encore à saluer l'exploit spectaculaire de son tombeur et dénonce ce qu'elle dit être un « hold-up électoral », cela n'entache point d'illégitimité ni d'aucune souillure la netteté de la victoire de M. Martelly. Le fossé est tellement grand entre les scores réalisés par les deux compétiteurs que Mme Manigat a été bien inspirée de s'abstenir de toute contestation formelle des résultats officiels publiés par le CEP. C'aurait été, autrement, faire durer un mauvais plaisir et incruster, durablement, dans l'imaginaire collectif l'idée, peu enviable, que si le camp Manigat ne sait pas techniquement comment gagner une élection, il ignore autant comment s'en sortir honorablement en cas de défaite.
Il y a de l'animosité dans l'air. De l'amertume. Certains silences sont mêmes très éloquents. Surtout chez ceux des perdants qui persistent à croire qu'ils ont été spoliés d'une victoire certaine. De son antre doré où il ronge son chagrin de fauve blessé et trahi, Jude Célestin ne décolère toujours pas contre les Judas de son propre camp et ces proconsuls de l'international qui ont brisé ses rêves, par endroits irréalistes, voire ses chimères de dauphin de l'un des présidents les plus impopulaires de toute l'histoire de ce pays. Les choses à l'haïtienne ont fait qu'aujourd'hui il a en Mirlande Manigat une alliée dans l'infortune. Les mêmes sentiments de spoliation et de trahison les traversent tous deux. Pourtant, ils étaient, dès le début, solidairement enthousiastes à cautionner un processus électoral vicié à la base et dont il espérait tirer parti grandiosement dans une logique toute politicienne. L'un était un favori du pouvoir. L'autre, une candidate qui se voulait « devan devan nèt ». Les principes ne valaient pas. Seulement les calculs bassement politiciens, axés sur la logique du pouvoir à n'importe quel prix, prévalaient. Comme dit le vieux dicton haïtien, ils avaient bien compté mais mal calculé. C'est de la scélératesse de ne dénoncer le viol des principes que quand cela ne nous profite pas.
Aujourd'hui, il faut dépasser les dynamiques rancunières de mauvais perdants. Mirlande Manigat, René Préval, Jude Célestin, Inite et consorts doivent souhaiter le meilleur du monde au personnel dirigeant entrant. Ils ont eu leurs moments et leurs chances. Ils n'ont qu'eux-mêmes à blâmer s'ils n'ont pas su en profiter intelligemment. Le pays attend d'eux qu'ils fassent preuve de grandeur d'âme et de patriotisme si, d'aventure, le président élu, Michel Martelly, faisait appel à eux, à un titre ou à un autre, pour servir et sauver ensemble Haïti. Nos problèmes sont immenses et nos ressources très limitées. C'est dans l'apaisement social, la stabilité politique, et avec l'esprit citoyen d'abnégation, de dépassement, de concorde et de sacrifice que notre pays parviendra à se remettre de ses tourments.
Du coté des gagnants il y a lieu de s'ouvrir, de ne point faire de la morgue, pour tendre la main à d'anciens rivaux ou à la nouvelle opposition née des dernières élections. M. Martelly n'aura pas la partie facile. De vieux routiers de la politique fourbissent déjà leurs armes et se proposent même de lui faire avaler bien de couleuvres. Les faucons aguerris de nos castes politiques rancies et momifiées ne lui pardonneront sans doute jamais de leur avoir ravi la vedette, de venir troubler leur jeu coquin de passe-passe au sommet de l'État, et de s'être imposé, du haut de son excentricité, comme par effraction dans le cercle des grands et des oligarques de ce pays. Il lui sera difficile de réussir son mandat avec de tels vis-à-vis comme éventuels partenaires politiques. La mission n'est cependant pas impossible. Il va falloir qu'il sache composer pour imposer ses agendas et conduire à terme ses grands chantiers. A côté de la plateforme Inite, l'Alternative constituera la deuxième force politique au parlement. La fragmentation du vote durant les législatives, la dispersion des voix, en raison notamment des appels au boycott, feront du parlement une institution bariolée où les intérêts s'harmoniseront difficilement. Le nouveau président sera surtout jugé sur sa capacité à faire passer ses projets primordiaux, à concilier les options de groupes et à faire, de cette configuration plurielle de l'instance législative, non un handicap, mais surtout un atout pour des dialogues démocratiques continus dans la poursuite de l'intérêt collectif.
Dialoguer ne veut point dire délibérer à n'en plus finir en quête d'un introuvable consensus. Il va falloir choisir et trancher. L'esprit d'ouverture ne devrait pas non plus renvoyer à l'idée de continuité. Si avec Aristide et Préval, nous avions eu droit au duvaliérisme et au jean-claudisme sans les Duvalier au pouvoir, avec Martelly, le pays ne tolérera point qu'il perpétue ses prédécesseurs dans ses choix et pratiques. On l'attend déjà, de pied ferme, dans le choix de son Premier ministre.
D.V.
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